Les employeurs sont nombreux à se le demander depuis le début de la pandémie : un employé travaillant à distance du Québec est-il visé par la Loi sur les normes du travail (la « LNT ») du Québec, qui garantit certaines conditions de travail?

Une décision récente du Tribunal administratif du travail du Québec vient éclaircir la portée territoriale de la LNT, et peut-être même préciser le cadre législatif régissant le télétravail.

Saisi d’une requête en révision, le Tribunal se prononçait sur l’applicabilité de la LNT à une salariée travaillant depuis le Québec pour une entreprise américaine, mais exclusivement auprès de clients des États-Unis.

Contexte

Une société américaine de logiciels de gestion d’entreprise a engagé une résidente du Québec en vue de percer le marché canadien. Cette vision ne s’est toutefois pas réalisée, et la salariée en question s’est retrouvée à travailler uniquement pour des clients américains, de son domicile au Québec et sur place chez les clients aux États-Unis.

Après cinq ans, l’entreprise a décidé de vendre ses activités canadiennes. Mise à pied, la salariée a porté plainte pour congédiement injustifié en vertu de l’article 124 de la LNT.

Dans un premier jugement, le Tribunal concluait que son bureau à domicile était devenu un « établissement » de l’entreprise aux yeux de la LNT, puisque l’employée travaillait depuis le Québec. Le Tribunal a donc considéré la LNT applicable et a accueilli la plainte du fait que l’entreprise, après l’avoir mise à pied, a continué de retenir les services d’un autre employé du Canada (comme travailleur autonome) malgré la vente.

L’employeur a déposé une requête en révision. Il est important de souligner que cette procédure n’est pas un appel de la première décision. En fait, le Tribunal ne peut réviser une décision que s’il y a « vice de fond ou de procédure » de nature à l’invalider. Bref, il en faut beaucoup pour faire révoquer une décision.

La révision du Tribunal

La révision de la première décision portait spécifiquement sur la portée territoriale de la LNT, qui s’applique sans égard au lieu de travail à tout salarié :

  • qui exécute, à la fois au Québec et hors du Québec, un travail pour un employeur dont la résidence, le domicile, l’entreprise, le siège ou le bureau (l’ « Établissement ») se trouve au Québec;
  • domicilié ou résidant au Québec, qui exécute un travail hors du Québec pour un employeur dont l’Établissement se situe au Québec.

Dans son analyse, le Tribunal cite une affaire où le juge avait conclu « qu’un employeur possède un établissement au Québec si ce dernier y exerce sur une base continue, et présente un certain caractère de permanence, des services ou du travail par l’intermédiaire d’un ou plusieurs employés ».

En conséquence, le Tribunal a décidé que la LNT ne s’appliquait pas à la salariée puisqu’elle ne travaillait qu’auprès de clients situés hors du Québec et que l’entreprise n’exerçait aucune activité dans la province.

Le Tribunal a également conclu que la décision initiale prêtait à la LNT une portée extraterritoriale conduisant à « une impasse ou à une impossibilité juridique » du fait que le Tribunal n’a pas la compétence d’ordonner à un employeur situé exclusivement aux États-Unis de réintégrer un employé.

Le Tribunal a donc révisé sa décision initiale et rejeté la plainte.

Que doivent en conclure les employeurs?

Dans le sillage de la pandémie, le télétravail prend racine. Les employés sont aujourd’hui nombreux à travailler depuis un territoire autre que celui dans lequel ils ont été embauchés. Les entreprises y trouvent également leur compte : elles peuvent recruter les meilleurs et pallier les pénuries locales de travailleurs.

Cette décision nous aide à comprendre la mesure dans laquelle les normes de travail généreuses du Québec s’appliquent aux employés qui y résident mais travaillent pour des entreprises établies ailleurs.

Pour l’heure, le Tribunal ne semble pas considérer qu’un salarié travaillant du Québec « exécute un travail… au Québec » s’il sert exclusivement des clients de l’extérieur de la province. En outre, il ne semble pas considérer le bureau à domicile du salarié comme un « établissement » de l’employeur si ce dernier n’exerce aucune activité au Québec.

Avec la généralisation du télétravail, le Tribunal sera sans doute appelé à se pencher de nouveau sur la question. Et avec cette révision, il a annoncé la couleur de ses prochaines décisions.

Ogletree Deakins continuera de surveiller l’évolution de la pandémie de COVID-19. Nous ajouterons toute information nouvelle au Centre de ressources sur le coronavirus (COVID-19) du cabinet. Les employeurs peuvent également suivre les webinaires et les balados du cabinet, où ils trouveront des renseignements essentiels.

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