En Bref

  • Les employeurs québécois peuvent communiquer avec leurs employés pendant les négociations collectives, mais ils doivent respecter le rôle exclusif du syndicat et éviter toute menace, coercition ou négociation directe.
  • Les communications de l’employeur doivent être factuelles et neutres, et viser à informer plutôt qu’à influencer ou à discréditer le syndicat.
  • Pendant les négociations collectives, les employeurs peuvent corriger les déclarations trompeuses du syndicat si leur réponse est véridique et respectueuse, chaque situation étant jugée en fonction de son contexte et de son impact.

Dans le contexte des relations de travail au Québec, la notion de liberté d’expression de l’employeur désigne le droit de l’employeur de communiquer avec ses employés, même pendant les négociations collectives. Toutefois, ce droit doit être exercé avec prudence afin de ne pas porter atteinte aux droits syndicaux.

L’article 12 du Code du travail du Québec est central à cet équilibre. Il protège la liberté d’association des salariés et interdit à l’employeur de dominer, entraver ou financer les activités syndicales. Cette protection légale oblige les employeurs à la plus grande prudence lorsqu’ils discutent de questions liées au syndicat, en particulier pendant les négociations. Au fil des ans, cette disposition a été mise à l’épreuve dans de nombreux cas, définissant les limites de la communication acceptable de la part des employeurs.

Définir les limites : communications de l’employeur

Les employeurs ne sont pas privés de leur droit de communiquer pendant les négociations collectives. Cependant, ils doivent respecter le rôle exclusif du syndicat en tant que représentant des salariés. Les tribunaux rappellent que le contexte, le contenu et les conséquences des communications patronales sont essentiels pour déterminer si elles constituent une ingérence.

Pour rester dans les limites légales, les communications de l’employeur doivent être :

  • Objectives et factuelles
  • Exemptes de menaces ou de coercition
  • Respectueuses de la légitimité syndicale
  • Véritables et non trompeuses

L’objectif est d’informer, et non d’influencer ou d’intimider. Les communications doivent encourager une réflexion approfondie, et non provoquer des réactions émotives, et ne doivent pas miner la crédibilité et à la légitimité du syndicat ni suggérer que les revendications syndicales sont déraisonnables et responsables de l’échec du processus de négociation.

Décision récente de la Cour supérieure du Québec

La décision de la Cour supérieure du Québec dans l’affaire Syndicat des travailleurs des pâtes et papiers de Windsor inc. (CSN) c. Domtar inc., usine de Windsor, 2025 QCCS 690précise les limites de la communication patronale pendant les négociations collectives, notamment lorsque le syndicat diffuse des informations jugées trompeuses ou incomplètes par l’employeur.

Dans cette affaire, au cours des négociations, l’employeur a présenté une offre finale. Le syndicat a informé ses membres qu’aucune entente n’avait été conclue et a attribué le manque de progrès à l’employeur. Estimant que cette présentation était trompeuse, l’employeur a envoyé un mémo directement aux employés, exposant les éléments clés de son offre et contestant les affirmations du syndicat. Le syndicat a déposé une plainte en vertu de l’article 12, alléguant que la communication directe de l’employeur contournait le syndicat et minait son rôle.

Conclusions de la Cour supérieure

La Cour supérieure a confirmé le droit de l’employeur de communiquer directement avec les employés dans ce contexte, sous réserve de certaines conditions :

  • Le contexte est crucial : La cour a réaffirmé que toutes les communications patronales ne constituent pas une ingérence. Leur légalité dépend du contexte, du contenu et des conséquences. Dans cette affaire, la cour a estimé que le mémo de l’employeur était une réponse justifiée à une information incomplète diffusée par le syndicat.
  • Droit de rectifier les faits : La cour a admis qu’un employeur peut communiquer directement avec ses employés afin de clarifier ou de rectifier des informations trompeuses ou incomplètes transmises par le syndicat, à condition que cette communication soit factuelle, respectueuse et ne vise pas à négocier directement avec les employés.
  • Aucune présomption d’ingérence : Bien que le syndicat détienne le droit exclusif de communiquer les offres à ses membres, la cour a précisé qu’il n’y a pas de présomption automatique d’ingérence lorsque l’employeur divulgue les détails d’une offre. Chaque situation doit être évaluée selon ses propres mérites.
  • Absence de préjudice : La cour a noté que le syndicat n’était pas en position de vulnérabilité et qu’aucune preuve ne démontrait que la communication patronale avait perturbé la cohésion syndicale ou miné son autorité. Le message de l’employeur était conforme aux faits et respectueux du rôle du syndicat.
  • L’intention compte : Pour qu’il y ait violation de l’article 12, il doit y avoir une intention coupable, soit délibérée, ou par aveuglement volontaire. En l’espèce, la cour n’a constaté aucune intention de ce type de la part de l’employeur.

En fin de compte, la Cour supérieure a conclu que la communication de l’employeur constituait un exercice légitime de sa liberté d’expression et ne constituait pas une ingérence au sens du Code du travail du Québec.

Ce que les employeurs doivent savoir et ne pas faire : enseignements de la jurisprudence récente

À la lumière de la jurisprudence évoquée ci-dessus, voici quelques lignes directrices à l’intention des employeurs lorsqu’ils communiquent avec leurs employés dans un environnement syndiqué :

Actions autorisées :

  1. Partager des informations factuelles
    Les employeurs peuvent transmettre des informations exactes et objectives sur l’état des négociations, pourvu que le contenu soit véridique et non trompeur.
  2. Rectifier les affirmations trompeuses

Si le syndicat diffuse des informations incomplètes ou inexactes, l’employeur peut apporter des clarifications, à condition qu’elles soient fondées sur des faits, neutres dans leur ton et non destinées à miner la crédibilité du syndicat.

  1. Respecter le rôle du syndicat

L’employeur peut exprimer son point de vue sur les négociations ou sur des questions relatives au milieu de travail, mais doit toujours respecter le rôle exclusif du syndicat comme agent négociateur et éviter toute tentative de contourner ou de discréditer le syndicat.

Actions interdites :

  1. Recours à la menace ou à la coercition
    Toute forme d’intimidation, de pression ou de conséquences implicites liées à l’activité syndicale est strictement interdite.
  2. Négocier directement avec les employés
    L’employeur ne doit pas tenter de négocier directement avec les employés ni solliciter leur avis sur des offres en dehors du processus formel de négociation.
  3. Diffuser des informations trompeuses
    Les communications qui déforment les faits ou induisent les employés en erreur au sujet du syndicat ou des négociations peuvent être considérées comme de l’ingérence.

Prochaines étapes

Comprendre la portée de la liberté d’expression de l’employeur dans un contexte syndiqué est essentiel afin d’éviter les plaintes d’ingérence syndicale. Bien que les employeurs aient le droit de communiquer avec leurs employés pendant les négociations collectives, ils doivent respecter le rôle du syndicat et se conformer aux limites prévues à l’article 12 du Code du travail du Québec. Étant donné que les plaintes déposées en vertu de l’article 12 dépendent fortement des circonstances spécifiques de chaque cas d’espèce, il est crucial pour les employeurs d’examiner attentivement le contexte, le ton et les conséquences potentielles de leurs messages avant de communiquer avec leurs employés.

Le bureau d’Ogletree Deakins à Montréal continuera de suivre l’évolution de la situation et publiera des mises à jour sur les blogs Cross-Border et Traditional Labor Relations dès que de nouvelles informations seront disponibles.

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