Ces dernières années, de nombreux cas de violence et de harcèlement à caractère sexuel ont fait les manchettes et ont retenu l’attention du public canadien. L’histoire troublante de Jian Ghomeshi – et l’enquête qui s’en est suivi à la Société Radio-Canada (SRC) – est venue situer ce problème directement dans le cadre professionnel.
À la fin de l’année 2015, le gouvernement de l’Ontario a présenté projet de loi 132, Loi de 2016 sur le Plan d’action contre la violence et le harcèlement sexuels (en soutien aux survivants et en opposition à la violence et au harcèlement sexuels ). Ce projet de loi a été adopté en mars 2016 et est entré en vigueur en septembre dernier. Il consolide les modifications apportées à la Loi sur la santé et la sécurité au travail (LSST) par le projet de loi 168 en établissant certaines exigences spécifiques en matière de prévention du harcèlement et de la violence à caractère sexuel et modifie un certain nombre d’autres lois relativement à cette question.
Les conséquences du projet de loi 132 en milieu de travail
La principale fonction et raison d’être du projet de loi 132 est de contrer la violence et le harcèlement à caractère sexuel en milieu de travail et, éventuellement, d’y mettre fin. Pour ce faire, il introduit dans la LSST l’obligation de mettre en place des programmes en milieu de travail. Un des principaux effets des modifications apportées à la Loi est d’attribuer aux employeurs la responsabilité de faire de cet objectif une priorité en matière de santé et de sécurité.
Voici les principales conséquences du projet de loi 132 sur la LSST :
- révision et élargissement de la définition du « harcèlement au travail » afin d’inclure dans la Loi une définition du « harcèlement sexuel au travail »;
- imposition d’obligations supplémentaires aux employeurs en lien avec la prévention de la violence et du harcèlement à caractère sexuel au travail.
1. Une nouvelle définition du « harcèlement au travail »
La première modification notable apportée à la LSST est l’élargissement de la définition du « harcèlement au travail » de manière à englober explicitement le « harcèlement sexuel au travail ». Elle a pour effet de reconnaître expressément le harcèlement sexuel comme un enjeu fondamental lié à la santé et à la sécurité au travail et de l’inscrire comme motif de préoccupation légitime justifiant en lui-même l’ouverture d’une enquête.
Le « harcèlement au travail » est défini comme suit :
- le fait pour une personne d’adopter, pour des raisons fondées sur le sexe, l’orientation sexuelle, l’identité sexuelle ou l’expression de l’identité sexuelle, une ligne de conduite caractérisée par des remarques ou des gestes vexatoires contre un travailleur dans un lieu de travail lorsqu’elle sait ou devrait raisonnablement savoir que ces remarques ou ces gestes sont importuns;
- le fait pour une personne de faire des sollicitations ou des avances sexuelles alors qu’elle est en mesure d’accorder au travailleur ou de lui refuser un avantage ou une promotion et qu’elle sait ou devrait raisonnablement savoir que ces sollicitations ou ces avances sont importunes.
Le projet de loi oblige les employeurs à intégrer ces nouvelles définitions élargies dans leurs politiques sur le harcèlement au travail. En plus de fournir des définitions plus claires de ces notions importantes, ces nouveautés visent à contribuer au dialogue et à accroître la sensibilisation au harcèlement à caractère sexuel dans le cadre des discussions importantes sur la violence et le harcèlement au travail en général qui ont lieu à l’heure actuelle.
2. Nouvelles obligations incombant aux employeurs
En plus du dialogue et de la sensibilisation accrus mentionnés ci-dessus, le projet de loi 132 exige en outre des employeurs qu’ils élaborent et mettent en place des programmes et des politiques de prévention du harcèlement au travail, lesquels doivent expressément traiter de harcèlement sexuel au travail.
Ces programmes et politiques de prévention doivent se conformer aux exigences suivantes :
- être élaborés et maintenus en consultation avec le comité ou le délégué à la santé et à la sécurité de l’employeur (le cas échéant);
- inclure un mécanisme pour signaler les incidents de harcèlement au travail à une personne autre que l’employeur ou le superviseur si un de ces derniers est le prétendu harceleur;
- veiller à ce que toutes les plaintes et les allégations fassent l’objet d’une enquête rigoureuse;
- énoncer la manière dont le plaignant et la personne visée seront informés par écrit des résultats de l’enquête et des mesures correctives qui seront prises à l’issue de l’enquête.
Le projet de loi 132 confère également aux inspecteurs de la santé et de la sécurité du ministère du Travail des pouvoirs accrus pour faire appliquer la LSST. Par exemple, un inspecteur peut ordonner à un employeur de faire mener par un tiers, aux frais de l’employeur, une enquête portant sur une plainte ou un incident de harcèlement au travail. Pour faciliter le respect de ces dispositions, le Ministère a publié un Code de pratique, conçu pour aider les employeurs à comprendre leurs nouvelles obligations.
Reconnaissant que ces modifications ouvrent la porte à une augmentation importante des plaintes de harcèlement, le projet de loi prévoit également un nouveau moyen de défense pouvant être invoqué par les employeurs pour établir le caractère non fondé d’une plainte de harcèlement au travail. Le projet de loi précise ainsi que les « mesures raisonnables » prises par un employeur dans le cadre de la gestion et de la direction d’un employé ou du lieu de travail ne constituent pas du harcèlement au travail.
Bien qu’il s’agisse d’un changement positif et favorable aux employeurs, il reste à voir à quel point il leur sera utile pour se défendre contre les plaintes frivoles. À ce jour, la seule décision portant sur les modifications susmentionnées rappelle que la Commission des relations de travail de l’Ontario a toujours veillé à ne pas qualifier de harcèlement au travail la conduite raisonnable d’un employeur. C’est donc à se demander si, tout compte fait, la Commission changera son approche à l’égard des plaintes.
Modifications supplémentaires
En plus de la LSST, le projet de loi 132 vient modifier plusieurs autres lois. Par exemple, le délai de préavis qu’un locataire doit respecter pour résilier son bail aux termes de la Loi de 2006 sur la location à usage d’habitation passe de 60 à 28 jours dans le cas où le locataire ou un enfant qui réside avec lui est réputé avoir fait l’objet de violence ou d’une autre forme de mauvais traitement. De la même façon, dans le cas d’une location conjointe, le colocataire qui a fait l’objet de violence ou d’une autre forme de mauvais traitement peut aussi mettre fin à son intérêt dans la location.
Le projet de loi 132 modifie également diverses lois pour retirer les délais de prescription applicables à certaines instances civiles ou pénales fondées sur la violence sexuelle. Enfin, il modifie certaines lois relatives à l’éducation en imposant des obligations supplémentaires aux collèges, aux universités et aux collèges privés d’enseignement professionnel concernant la violence sexuelle qui met en cause des étudiants.
Mesures à prendre pour les employeurs
Sans l’ombre d’un doute, le principal impact du projet de loi 132 se fait surtout sentir au travail. Les employeurs qui ne se sentent pas bien préparés ou qui entretiennent des doutes quant à ce nouveau contexte devraient agir rapidement et se faire conseiller au besoin.
Les employeurs pourront vouloir considérer les éléments suivants :
- Politiques. Revoir et actualiser vos politiques sur la violence et le harcèlement au travail afin de vous assurer qu’elles sont conformes aux exigences imposées par le projet de loi 132.
- Procédure de traitement des plaintes. Assurez-vous que la procédure pour déposer une plainte est clairement établie et que le processus d’enquête est le même pour tous. Présentez les conclusions du processus aux parties intéressées.
- Formation. Veillez à ce que chaque membre de votre équipe reçoive une formation adéquate sur la prévention de la violence et du harcèlement au travail et faites en sorte que de telles plaintes soient prises au sérieux.
- Analyse des risques. Puisque l’on sait que les incidents de harcèlement au travail (sexuel ou autres) constituent un risque important pour la santé mentale des employés et contribuent à l’absentéisme, envisagez de procéder à une évaluation globale des risques existant pour la santé psychologique et à l’adoption de nouvelles politiques en matière de bien-être au travail tandis que vous revoyez celles portant sur la violence et le harcèlement.