Dans sa récente décision Hawkes v Max Aicher (North America) Limited, 2021 ONSC 4290, la Cour divisionnaire de l’Ontario a tranché une requête en révision judiciaire en statuant qu’il faut tenir compte de la masse salariale totale de l’employeur qui met fin à l’emploi d’un salarié ontarien pour déterminer si le seuil de masse salariale de 2,5 millions de dollars par année est atteint et, partant, si le versement d’une indemnité de cessation d’emploi peut s’imposer. Cette décision infirme celle de la Commission des relations de travail de l’Ontario (CRTO) qui, s’appuyant sur certains précédents, avait conclu que seule la masse salariale ontarienne devait être prise en compte.

Contexte

Le requérant, Doug Hawkes, a occupé le même emploi de 1977 à novembre 2010, date à laquelle Max Aicher (North America) Limited a acquis son employeur, puis jusqu’en octobre 2015. Renvoyé par Aicher, il a porté plainte auprès du ministère du Travail, alléguant avoir droit à des indemnités de licenciement, de vacances et de cessation d’emploi. Pour fonder son droit à cette dernière indemnité, M. Hawkes avait tenu compte de la masse salariale totale (ontarienne et extraontarienne) de son ancien employeur pour atteindre le seuil de 2,5 millions de dollars.

L’agent des normes d’emploi chargé de traiter la plainte a reconnu le droit de M. Hawkes à des indemnités de licenciement et de vacances, mais pas à une indemnité de cessation d’emploi. Saisie de l’appel de cette décision, la CRTO a fait siens les motifs de l’agent des normes d’emploi, reprenant le raisonnement selon lequel il ne saurait y avoir d’indemnité de cessation d’emploi puisque la masse salariale ontarienne de l’employeur n’atteignait pas les 2,5 millions de dollars, et que les salaires versés à l’extérieur de la province ne devaient pas peser dans la balance. M. Hawkes a ensuite présenté sa requête en révision judiciaire de la décision de la CRTO, requête visant à établir s’il était déraisonnable d’exclure la masse salariale extraontarienne du calcul relatif à l’indemnité de cessation d’emploi.

Décision

La norme applicable au contrôle judiciaire de la décision de la CRTO par la Cour divisionnaire de l’Ontario était celle de la décision raisonnable, conformément à l’arrêt de la Cour suprême du Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, selon lequel une grande déférence devrait être accordée à la CRTO dans son champ de compétence. Cette norme, selon la Cour suprême, « tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

D’entrée de jeu, la Cour divisionnaire a résumé les trois arguments invoqués par la CRTO pour exclure la masse salariale extraontarienne du calcul visant à établir l’atteinte du seuil relatif à l’indemnité de cessation d’emploi : premièrement, le paragraphe 3(1) de la Loi de 2000 sur les normes d’emploi (LNE) ferait en sorte que [traduction] « la masse salariale d’un employeur mentionnée au [paragraphe] 64(2) ne puisse être qu’ontarienne »; deuxièmement, la décision Paquette c. Quadraspec Inc., 2014 ONCS 2431, invoquée par Hawkes et dans laquelle la masse salariale nationale avait été prise en compte, se serait fondée sur [traduction] « des faits différents » de ceux de l’espèce, et troisièmement, la CRTO n’aurait trouvé aucune raison de s’écarter des décisions antérieures à Paquette. La Cour a conclu [traduction] que ces motifs étaient « illogiques », et que le raisonnement de la CRTO était « bancal ».

Les dispositions pertinentes de la LNE sont les suivantes :

Personnes visées par la Loi

3 (1) Sous réserve des paragraphes (2) à (5), les normes d’emploi énoncées dans la présente loi s’appliquent à l’employé et à son employeur si, selon le cas :

a) le travail de l’employé doit être exécuté en Ontario;

b) le travail de l’employé doit être exécuté en Ontario et à l’extérieur de la province et que le travail exécuté à l’extérieur de la province est une prolongation du travail exécuté en Ontario.

Droit à une indemnité de cessation d’emploi

64 (1) L’employeur qui met fin à l’emploi de l’employé lui verse une indemnité de cessation d’emploi s’il l’a employé pendant cinq ans ou plus et, […]

b) que sa masse salariale est d’au moins 2,5 millions de dollars.

Masse salariale

(2) Pour l’application du paragraphe (1), l’employeur est considéré comme ayant une masse salariale d’au moins 2,5 millions de dollars si, selon le cas :

a) le produit par 13 du total des salaires qu’ont gagnés tous ses employés au cours de la période de quatre semaines qui s’est terminée le dernier jour de la dernière période de paie complète précédant le jour où il a été mis fin à l’emploi de l’employé correspond à au moins 2,5 millions de dollars;

b) le total des salaires qu’ont gagnés tous ses employés au cours de son dernier ou de son avant-dernier exercice précédant le jour où il a été mis fin à l’emploi de l’employé s’élève à au moins 2,5 millions de dollars.

Traitant du premier argument, la Cour a remarqué que la formulation géographiquement restrictive de l’article 3 de la LNE n’était pas reprise au paragraphe 64(2), et que cette omission est significative. C’était à tort, selon la Cour, que la CRTO affirmait que le législateur ontarien ne pouvait légiférer pour qu’il soit tenu compte de la masse salariale extraprovinciale : la jurisprudence et la doctrine indiquent qu’une province peut tenir compte de facteurs qui lui sont externes pour orienter les choix législatifs relevant de sa compétence.

Pour ce qui est du deuxième argument, la Cour a statué que si la CRTO n’était pas liée par Paquette, elle aurait tout de même dû en tenir compte en l’espèce. En effet, elle a jugé que la distinction faite par la CRTO entre l’espèce et cette décision était [traduction] tantôt « insignifiante », tantôt « erronée ». Plus particulièrement, la Cour a statué que lorsqu’il s’agit de tenir compte de facteurs externes à l’Ontario, il n’est pas important de savoir si ceux-ci prennent source au Canada ou à l’étranger. Elle a par ailleurs qualifié la distinction d’erronée, car comme il est expliqué dans Paquette, « [l]es exigences imposées aux employeurs par et dans les autres juridictions » ne sauraient être influencées par le fait de tenir compte des masses salariales qui s’y rapportent.

Quant au troisième argument, la Cour a conclu que le principal précédent justifiant l’exclusion de la masse salariale extraontarienne s’appuyait sur une trame factuelle différente qui, lorsqu’invoquée par d’autres décideurs, s’est avérée ne pas appuyer les prétentions de la CRTO. Elle a d’ailleurs remarqué que d’autres décisions fondées sur un raisonnement analogue à celui de la CRTO ont été écartées pour ces mêmes raisons.

La Cour a également conclu que la CRTO avait omis de tenir compte du rôle réparateur de la LNE, citant jurisprudence et débats parlementaires pour appuyer une interprétation élargie des protections offertes par celle-ci. Elle a aussi rejeté l’argument voulant que la CRTO ne puisse pas ordonner la production de documents relatifs à la masse salariale extraontarienne, remarquant que l’application de la LNE relevait effectivement du mandat des agents des normes d’emploi, qui sont investis de ce pouvoir quant aux employeurs qui mènent des activités en Ontario.

Enfin, la Cour a statué qu’il [traduction] « ne peut y avoir qu’une seule interprétation raisonnable de la disposition de la Loi ». Elle a ainsi conclu que la masse salariale extraontarienne doit être incluse dans le calcul visant à établir l’atteinte du seuil de 2,5 millions de dollars déclenchant l’obligation pour un employeur de l’Ontario de verser une indemnité de cessation d’emploi en vertu de l’article 64.

Michael C. Comartin est associé au bureau de Toronto du cabinet Ogletree Deakins.

John T. Wilkinson est étudiant en droit et participe actuellement au programme d’été du bureau de Toronto d’Ogletree Deakins.


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