La Cour d’appel de l’Ontario a récemment rendu un arrêt qui confirme les principaux principes juridiques et considérations dont les tribunaux devront tenir compte pour déterminer si un contrat signé il y a longtemps qui ne reflète plus la nature de l’emploi d’une personne est toujours exécutoire. La doctrine de la « modification de l’essence du contrat » est appliquée pour annuler un contrat de travail lorsque les attributions, les responsabilités et le statut d’un employé ont radicalement changé depuis la conclusion du contrat. Dans l’arrêt Celestini v. Shoplogix Inc., 2023 ONCA 131, la Cour d’appel de l’Ontario a confirmé la décision dans laquelle la Cour supérieure de justice avait appliqué ce principe pour annuler le contrat d’un employé qui avait été engagé comme cadre.

Contexte

L’employeur, Shoplogix Inc., avait engagé comme chef de la technologie Stefano Celestini, qui était le fondateur et le président et chef de la direction de la société que Shoplogix avait remplacée. Les conditions d’emploi de M. Celestini étaient définies dans un contrat de travail écrit qui avait été valablement conclu en 2005. Le contrat stipulait que M. Celestini devait s’acquitter des fonctions de chef de la technologie qui étaient énoncées dans les règlements administratifs de la société, tout en exécutant [traduction] « les autres tâches qui lui seront raisonnablement confiées par le président et chef de la direction ou par le conseil ». Le contrat indiquait également que M. Celestini relevait du président et chef de la direction.

En 2008, M. Celestini a signé une convention de rémunération incitative qui a modifié de manière substantielle la structure de sa rémunération. Par ailleurs, Shoplogix a recruté un nouveau président et chef de la direction qui a modifié considérablement le rôle et les attributions de M. Celestini. Malgré ces changements, les parties n’ont pas signé de nouveau contrat de travail ni confirmé le contrat existant.

Shoplogix a congédié M. Celestini sans motif le 2 mars 2017Il a reçu un an de salaire conformément à son contrat de travail de 2005. Il a par la suite intenté une poursuite pour congédiement injustifié contre Shoplogix. M. Celestini soutenait que ses droits en cas de cessation d’emploi ne pouvaient être limités à ceux prévus par son contrat, étant donné que l’essence de son contrat initial n’existait plus, de sorte que les parties ne pouvaient avoir eu l’intention d’appliquer à son emploi actuel les clauses de licenciement du contrat de 2005.

Décision du juge de première instance

Le juge de première instance a donné gain de cause à M. Celestini. Le juge a conclu, selon la preuve dont il disposait, que la relation d’emploi avait [traduction] « fondamentalement changé » depuis la date d’embauche de M. Celestini. Parmi les tâches supplémentaires qui lui avaient été confiées, M. Celestini était notamment chargé de la gestion des ventes et du marketing, en plus de superviser les gestionnaires qui lui étaient assignés en tant que subordonnés directs et d’explorer des possibilités d’affaires auprès de partenaires internationaux.

Le juge a souligné que ces changements étaient confirmés par le changement de salaire de M. Celestini et que, parce que Shoplogix n’avait pas reconnu que les modalités de l’ancien contrat continueraient à s’appliquer malgré ces changements, elle ne pouvait se prévaloir des modalités du contrat initial.

Le juge de première instance a par conséquent condamné Shoplogix à payer à M. Celestini 421 043,05 $ en dommages-intérêts.

Arrêt de la Cour d’appel

Devant la Cour d’appel, le litige portait notamment sur l’application, par le juge de première instance, de la doctrine de la « modification de l’essence du contrat ». Shoplogix soutenait que le juge de première instance avait mal interprété cette doctrine et en avait potentiellement élargi la portée en l’appliquant à un employé de rang élevé qui n’avait pas reçu de promotion. Shoplogix affirmait également que les changements à l’emploi de Celestini avaient été apportés graduellement, que ces changements étaient prévus et qu’il ne s’agissait pas de changements fondamentaux.

Tout en convenant que la doctrine de la modification de l’essence du contrat ne s’applique que lorsque les attributions de l’employé ont été élargies et que l’employé ne peut invoquer cette doctrine si on lui confie des responsabilités moindres ou s’il est rétrogradé, la Cour d’appel a fait observer que cette doctrine n’exigeait pas que le titre du poste ait été modifié. Le titre du poste de l’employé est un facteur contextuel parmi d’autres, mais, dans le cadre de l’analyse globale, on met l’accent sur l’essence de la relation d’emploi plutôt que sur sa forme.

En ce qui concerne l’argument de Shoplogix concernant les conclusions du juge de première instance, la Cour d’appel a déclaré que cet argument était indéfendable. Le juge de première instance avait tiré ses conclusions à la lumière d’un dossier de preuve non contesté. Il y avait donc lieu de faire preuve de retenue à l’égard des conclusions du juge de première instance, et rien ne justifiait un réexamen de ces conclusions par la Cour d’appel. L’argument de Shoplogix ne pouvait être retenu si elle n’était pas en mesure d’indiquer avec précision quels éléments de preuve le juge de première instance avait omis d’examiner.

La Cour d’appel a rejeté les arguments de Shoplogix concernant le caractère exécutoire du contrat de Celestini, confirmant ainsi la décision du juge de première instance.

Points à retenir

Les employeurs devraient prendre garde aux anciens contrats d’emploi qui ne reflètent plus les attributions, les responsabilités, le statut ou la rémunération d’un employé. Lorsqu’il propose à un employé un nouveau poste ou qu’il modifie sensiblement ses conditions d’emploi, l’employeur serait avisé de tenir compte de ces changements au moyen d’un contrat modifié ou d’un nouveau contrat. L’employeur dont les employés se trouvent dans cette situation voudra peut-être également leur demander de confirmer qu’ils acceptent les modalités de leur ancien contrat et qu’ils conviennent qu’ils y sont encore soumis. De plus, les employeurs seraient avisés de revoir tous leurs contrats de travail au moins une fois par année.

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