Le Canada envisage l’adoption de nouvelles lois sur la diligence raisonnable relative aux chaînes d’approvisionnement et les obligations liées au travail forcé et au travail des enfants. À la fin de l’année 2021, la sénatrice Julie Miville-Dechêne a présenté le projet de loi S-211, Loi édictant la Loi sur la lutte contre le travail forcé et le travail des enfants dans les chaines d’approvisionnement et modifiant le Tarif des douanes. Il a depuis passé l’étape du Sénat et se trouve maintenant à la Chambre des communes, qui devrait l’adopter. Il ne restera plus que la sanction royale pour qu’il devienne une loi. La loi entrerait en vigueur le 1er janvier de l’année suivant celle de la sanction royale, soit le 1er janvier 2024 si la sanction est donnée au cours de l’année 2023. Le présent article fait un survol du projet de loi dans sa forme actuelle. Il est à noter que le contenu du projet pourrait changer d’ici la fin du processus législatif.
La loi proposée a pour objet d’instaurer au Canada un régime obligeant les entreprises à « faire rapport sur les mesures qu’elles prennent pour prévenir et atténuer le risque qu’elles aient recours au travail forcé ou au travail des enfants ou qu’il y soit fait recours dans leurs chaines d’approvisionnement », de même qu’un régime d’inspection. Elle fait suite aux Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme des Nations Unies, aux termes desquels les pays membres s’engagent à mettre en place des Plans d’action nationaux (PAN). Nouveau au Canada, ce type de loi a déjà été adopté ailleurs dans le monde, notamment en Australie (où l’État de la Nouvelle-Galles du Sud a aussi sa propre loi), en France, en Allemagne, aux Pays-Bas, au Royaume-Uni et en Californie.
Définitions et champ d’application
Pour l’application de la loi, une « entité » est une « [p]ersonne morale ou société de personnes, fiducie ou autre organisation non constituée en personne morale : a) soit dont les actions ou titres de participation sont inscrits à une bourse de valeurs canadienne; b) soit qui a un établissement au Canada, y exerce des activités ou y possède des actifs et qui, selon ses états financiers consolidés, remplit au moins deux des conditions ci-après pour au moins un de ses deux derniers exercices :
(i) elle possède des actifs d’une valeur d’au moins 20 000 000 $,
(ii) elle a généré des revenus d’au moins 40 000 000 $,
(iii) elle emploie en moyenne au moins 250 employés; »
Une fois adoptée, la loi s’appliquera à toute entité qui, selon le cas :
« a) produit, vend ou distribue des marchandises, au Canada ou ailleurs;
b) importe au Canada des marchandises produites à l’extérieur du Canada;
c) contrôle l’entité qui se livre à une activité décrite aux alinéas a) ou b). »
On parle de « contrôle » lorsqu’une entité est contrôlée de quelque manière que ce soit par une autre, directement ou indirectement. De plus, l’« entité qui en contrôle une autre est réputée contrôler toute entité qui est contrôlée, ou réputée l’être, par cette autre entité ».
Exigences
Le paragraphe 11(1) indique que les entités assujetties à la loi seront tenues de remettre le 31 mai de chaque année un rapport faisant état des mesures prises « pour prévenir et atténuer le risque relatif au recours au travail forcé ou au travail des enfants à l’une ou l’autre étape de la production de marchandises par l’entité — au Canada ou ailleurs — ou de leur importation au Canada ». Une entité pourra produire seule son propre rapport, ou être partie à un rapport conjoint qui concerne plusieurs entités.
Le paragraphe 11(3) précise que le rapport devra contenir les éléments suivants au sujet de l’entité :
- « sa structure, ses activités commerciales et ses chaines d’approvisionnement;
- ses politiques et ses processus de diligence raisonnable relatifs au travail forcé et au travail des enfants;
- les parties de ses chaines commerciales et de ses chaines d’approvisionnement qui comportent un risque de recours au travail forcé ou au travail des enfants et les mesures qu’elle a prises pour évaluer ce risque et le gérer;
- l’ensemble des mesures qu’elle a prises pour remédier à tout recours au travail forcé ou au travail des enfants;
- l’ensemble des mesures qu’elle a prises pour remédier aux pertes de revenus des familles les plus vulnérables engendrées par toute mesure visant à éliminer le recours au travail forcé ou au travail des enfants dans le cadre de ses activités et dans ses chaines d’approvisionnement;
- la formation donnée aux employés sur le travail forcé et le travail des enfants;
- la manière dont elle évalue l’efficacité de ses efforts pour éviter le recours au travail forcé ou au travail des enfants dans ses chaines commerciales et ses chaines d’approvisionnement. »
Le corps dirigeant de l’entité (ou, dans le cas d’un rapport conjoint, le corps dirigeant de chaque entité ou celui de l’entité qui contrôle les autres) devra approuver le rapport. L’entité pourra soumettre une version révisée de son rapport, laquelle devra aussi recevoir cette approbation. Le rapport devra être rendu public, dans un endroit bien en vue du site Web de l’entité.
Le projet de loi S-211 propose aussi de modifier le Tarif des douanes de façon à renforcer l’interdiction d’importer des marchandises « extraites, fabriquées ou produites, en tout ou en partie, par recours au travail forcé ou au travail des enfants ».
Application et sanctions
Le ministre chargé de l’administration de la loi (soit, pour l’heure, le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile) pourra désigner une personne (ou une catégorie de personnes) responsable de son application. La personne désignée aura des pouvoirs extrêmement larges lui permettant d’entrer dans des lieux et de recueillir des renseignements. Sur la base des renseignements obtenus, le ministre pourra ordonner à une entité de prendre des mesures qu’il estime nécessaires pour rectifier des lacunes dans le rapport ou pour le rendre public. La personne désignée aura besoin d’un mandat pour entrer dans une maison d’habitation.
Le projet de loi prévoit des sanctions pour les entités en situation de non-conformité, comme celles qui ne respectent pas leur obligation de faire rapport, qui ne rendent pas leur rapport public, qui ne prêtent pas l’assistance demandée à la personne désignée ou qui font sciemment une déclaration fausse ou trompeuse dans leur rapport. Ces entités commettent une infraction et encourent, sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, une amende maximale de 250 000 $. Les « administrateurs, dirigeants ou mandataires qui ont ordonn[é] ou autoris[é] [la commission d’une infraction], ou qui y ont consenti ou participé » seront aussi responsables. La preuve de la commission d’une infraction par un employé ou un mandataire de l’entité suffira pour établir la culpabilité de l’entité elle-même, sauf si elle démontre qu’elle a exercé la diligence voulue pour empêcher l’infraction.
Analyse et conclusion
Le projet de loi propose de nouvelles obligations en matière de responsabilité sociale des entreprises et s’inscrit dans le mouvement mondial visant à éliminer les fléaux que sont l’esclavage moderne et le travail des enfants dans les chaînes d’approvisionnement. Les entités visées par le projet de loi auraient avantage à bien consigner les renseignements à propos de leurs fournisseurs et sous-traitants, et à désigner une ou plusieurs personnes pour la rédaction des rapports et la surveillance de la conformité.
Curieusement, si le projet de loi impose l’honnêteté et la diligence dans la production des rapports exigés, il ne propose pas de mesure visant à évacuer toute forme d’esclavage moderne ou de travail des enfants dans les chaînes d’approvisionnement (ni de conséquence pour leur présence). Il semble compter sur l’aversion qu’inspirent ces pratiques et considérer que le boycottage par les consommateurs qui découlerait de leur mise en lumière dans un rapport public est en lui-même une punition. Fait intéressant, l’Australie et le Royaume-Uni tiennent des registres d’énoncés sur l’esclavage moderne, qu’on peut voir comme les instruments de campagnes nationales de mise au pilori. Si le projet de loi S-211 est sanctionné et que des rapports deviennent publics, des registres semblables pourraient émerger ici pour informer les consommateurs et les investisseurs et décourager le recours à l’esclavage moderne et au travail des enfants dans les chaînes d’approvisionnement.
Les bureaux de Montréal et de Toronto d’Ogletree Deakins surveillent la progression du projet de loi S-211 et publieront des mises à jour sur le blogue transfrontalier du cabinet en temps opportun. Les employeurs peuvent également suivre les webinaires et les balados du cabinet pour accéder à des renseignements essentiels.
Hugh A. Christie est l’associé directeur du bureau de Toronto d’Ogletree Deakins.
Michael Comartin est associé au bureau de Toronto d’Ogletree Deakins.
John T. Wilkinson a obtenu son diplôme de la Faculté de droit de l’Université Queen’s en 2022 et est stagiaire au bureau de Toronto d’Ogletree Deakins.