Au Canada, les mesures mises en place pour freiner la propagation de la COVID-19 ont forcé des millions d’employés à travailler de la maison. La plupart d’entre eux effectuent les mêmes tâches qu’avant la pandémie, seulement à partir d’un endroit différent. Or, le lieu de travail est souvent fort important pour déterminer quelle législation provinciale sur les normes d’emploi s’applique à la relation employeur-employé.

Par exemple, un employé ontarien qui déménage dans une autre province pour y travailler à distance pourrait ne plus être visé par la Loi de 2000 sur les normes d’emploi de l’Ontario (LNE).

Examinons cela de plus près.

Champ d’application de la Loi de 2000 sur les normes d’emploi

Le champ d’application de la LNE est établi au paragraphe 3(1) de la Loi. L’alinéa 3(1)a) indique que la LNE s’applique aux employés dont « le travail […] doit être exécuté en Ontario ». Selon le Guide de politique et d’interprétation de la Loi sur les normes d’emploi, « le fait qu’une partie du travail soit exécutée en Ontario peut ne pas suffire pour que l’employé soit assujetti à la [LNE]. Par exemple, si le travail que l’employé exécute en Ontario est simplement une prolongation du travail exécuté dans un autre territoire de compétence, les lois de cet autre territoire pourraient alors s’appliquer au lieu de la [LNE] ».

L’alinéa 3(1)b) indique quant à lui que la LNE s’applique à l’employé dont « le travail […] doit être exécuté en Ontario et à l’extérieur de l’Ontario » pourvu que le travail effectué ailleurs soit « une prolongation du travail exécuté en Ontario ». Le guide d’interprétation de la LNE donne plusieurs exemples de cas où la Loi s’applique à du travail exécuté ailleurs qu’en Ontario. Par exemple, un vendeur domicilié en Ontario sera assujetti à la LNE même s’il travaille à la fois en Ontario et au Québec dans le cadre de l’exercice de ses fonctions. Toutefois, l’employé qui travaille en Angleterre et qui déménage en Ontario pour y exécuter son travail à distance est visé par la LNE, mais seulement pour la période pendant laquelle il travaille en Ontario.

Décision de la Commission des relations de travail de l’Ontario en 2019

La décision de la Commission des relations de travail de l’Ontario dans l’affaire Zhang v. IBM Canada Ltd, rendue en 2019, illustre les conséquences potentielles de la décision d’un employé de s’installer dans un territoire différent pour effectuer son travail à distance. L’employé dans cette affaire avait été engagé pour travailler au bureau de l’employeur situé à Markham, en Ontario. Toutefois, en 2010, les parties ont conclu une entente de télétravail qui prévoyait notamment que l’employeur pouvait mettre fin à l’entente « à sa discrétion », auquel cas l’employé serait « tenu de revenir à temps plein dans un milieu de travail traditionnel dans un délai de quatre semaines ».

En novembre 2015, après avoir obtenu l’autorisation de son employeur, l’employé a déménagé en Colombie-Britannique, où il a continué de faire du télétravail. En septembre 2017, conformément aux modalités de l’entente de télétravail, l’employeur lui a demandé de venir travailler à son bureau d’Ottawa. L’employé a refusé, et l’employeur a considéré qu’il avait par conséquent démissionné de son poste. L’employé, prétendant de son côté avoir été congédié implicitement, a demandé l’indemnité de cessation d’emploi prévue par la LNE. La Commission devait avant tout déterminer si la LNE s’appliquait au moment de la cessation d’emploi.

La vice-présidente Caroline Rowan a d’abord conclu que l’alinéa 3(1)a) de la LNE ne s’appliquait pas au moment du congédiement implicite allégué, car le travail de l’employé ne devait pas « être exécuté en Ontario ». Elle a souligné que, depuis son déménagement en Colombie-Britannique, l’employé n’avait jamais exécuté son travail en Ontario, et que son employeur et lui avaient convenu que le travail se ferait en Colombie-Britannique.

Elle a ensuite conclu que l’alinéa 3(1)b) de la LNE ne s’appliquait pas non plus, puisqu’il n’était pas prévu que le travail soit exécuté à la fois en Ontario et à l’extérieur de la province. Elle a rappelé que, pour que cet alinéa s’applique, le travail de l’employé doit être exécuté en Ontario et à l’extérieur de l’Ontario, et le travail dans un autre territoire doit être une prolongation du travail en Ontario. Par conséquent, la LNE [traduction] « ne s’applique pas si le travail doit être exécuté à l’extérieur de l’Ontario et qu’il est seulement possible que la situation change éventuellement » (les italiques sont dans la décision). La vice-présidente Rowan a insisté à maintes reprises sur le fait que l’employé n’avait jamais été fait « d’allées et venues » depuis son départ pour la Colombie-Britannique. Elle a pris la peine de souligner que les circonstances auraient été différentes si l’employé avait accepté de revenir travailler en Ontario.

Il convient de souligner que la Commission n’a pas mentionné si le contrat d’emploi prévoyait l’application des lois de l’Ontario. Elle s’est plutôt concentrée sur les modalités de l’entente de télétravail. La vice-présidente Rowan a souligné que cette entente [traduction] « ne prévoyait pas un éventuel retour obligatoire en Ontario » (les italiques sont dans la décision), mais plutôt que l’employeur se réservait le droit d’éventuellement obliger l’employé à revenir travailler dans un milieu de travail traditionnel. Cette décision porte à croire que les modalités d’une entente de télétravail peuvent servir à déterminer si le travail effectué ailleurs qu’en Ontario est une « prolongation du travail exécuté en Ontario ».

Points à retenir pour les employeurs

Les employeurs auraient avantage à bien mesurer les implications du télétravail effectué à partir d’un autre territoire. Les normes d’emploi peuvent varier d’une province à une autre, tout comme les obligations des employeurs et les droits des employés. Prenons l’exemple des heures supplémentaires. Au Manitoba, en Saskatchewan, en Alberta et en Colombie-Britannique, les employés assujettis au régime provincial ont droit de recevoir le taux applicable aux heures supplémentaires lorsqu’ils travaillent plus de huit heures par jour. En Ontario, le seuil est de 44 heures par semaine de travail. Par conséquent, un employeur ontarien pourrait être tenu de payer davantage d’heures supplémentaires si un de ses employés déménage dans l’Ouest canadien ou les Prairies.

Afin de clarifier les attentes, les employeurs devraient penser à conclure des ententes avec leurs télétravailleurs. En les rédigeant, ils devraient consulter la loi provinciale qui s’applique à la relation d’emploi et décider s’ils acceptent que l’employé effectue son travail dans un autre territoire.

Ogletree Deakins continuera de surveiller l’évolution de la pandémie de COVID-19. Nous ajouterons toute information nouvelle au Centre de ressources sur le coronavirus (COVID-19) du cabinet. Les employeurs peuvent également suivre les webinaires et les balados du cabinet pour accéder à des renseignements essentiels.

Hugh A. Christie est l’associé directeur du bureau de Toronto d’Ogletree Deakins.

Michael F. Lee a obtenu son diplôme de la faculté de droit de l’Université Western Ontario en 2020 et est stagiaire au bureau de Toronto d’Ogletree Deakins.

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